Lettre novembre - 153eme -
Bonjour, Bonsoir
« Il faut résister aux occupations et,
loin de les poursuivre, les repousser toutes. »
Sénèque
Des efforts ? Oui mais... point trop ! Chaque jour, efforts physiques, intellectuels, mais aussi émotionnels. Notion d'effort longtemps colonisée par la morale et la religion, pas simple de nous y retrouver. Attention à ne pas masquer nos ressentis émotionnels, gast ! Se demander quel est le sens de ces efforts, s'ils coïncident avec nos valeurs, produits pour une utilité dans mon quotidien et mon bien-être ou pour faire seulement plaisir et exister face aux autres ?... Solution : bien connaître nos besoins et envies. Mais... nous aurons toujours besoin de produire un peu d'efforts pour être heureux !
Cela fait plus de quarante années que je pratique le Yoga. Je l'ai enseigné durant vingt-deux années. Le désir de yoga est toujours à interroger, car il peut tout aussi bien venir fortifier une pathologie, renforcer les traits défensifs du caractère, qu'alléger la vanité de celui qui souhaite s'en déprendre. Il devient ce que l'on fait de lui.... " Soit il poursuit le vœu inconscient d'échapper au monde, d'échapper au conflit, de fortifier la maîtrise ou le " je n'en veux rien savoir ", soit il succombe aux vérités inattendues et le symptôme s'en trouve mis à nu. Une différence se dessine entre un yoga de jouissance et un yoga de travail. " nous avertit Christiane Berthelet-Lorelle, psychanalyste, dans son ouvrage La Sagesse du désir.
Il y a des façons opposées de pratiquer le yoga. Soit on s'efforce de travailler intelligemment, au service de la vie, dans un esprit de clarté et d'équilibre ; soit on renforce ses tendances pathologiques... La régression vers la fusion océanique... aggravée d'une vénération infantile pour le maître. De vraies junkies ! Mais bon, nous ne sommes pas les seuls à nous "percher" grâce au yoga : c'est trèèèès courant ! Narcissisme et obsession de la performance, désir de contrôle et de toute-puissance, retrait dans une bulle d'indifférence et de détachement, engourdissement de la pensée pris pour le samadhi, mécanismes de déni sous prétexte de "suppression de l'ego", refus de l'altérité au nom du fantasme d'unité, aspiration à retrouver le paradis perdu... on voit beaucoup ces profils dans le monde du yoga, n'est-ce pas ? Et c'est logique, car ces dérives correspondent à des interprétations répandues : on entend souvent que le yoga serait l'arrêt de la pensée, l'extinction de l'ego, le silence définitif, l'absorption dans l'absolu, la béatitude sans manque, l'unité parfaite... Mais ce sont des illusions, des contresens.
Le but n'est pas de se percher dans une zénitude béate ! Il ne s'agit pas de cultiver le déni, la fuite dans un au-delà illusoire, l'absence de lucidité. C'est facile de se complaire dans une paix de zombie ; mais à la longue, c'est la catastrophe assurée.... En fait, dans le yoga il n'y a pas de rejet de la pensée. Au contraire, l'intelligence (buddhi) y est célébrée. " Patanjali ne parle à aucun moment de l'arrêt du mental lui-même, mais de la suspension ou de l'orientation de ses activités ou de ses perturbations (vrtti). Cette précision semble de toute importante, car nombreux sont ceux qui laissent penser que le yoga est une lobotomie organisée. " (Ibid. page 306). Le mental est un bon serviteur, mais un mauvais maître. Car, avouons-le : nous sommes tous assez névrosés, non ? Notre soif d'unité et d'absolu, c'est la soif de tous les humains depuis la naissance, ce déchirement dont on ne se remet jamais vraiment... Ne cherchons plus à l'extérieur. Ne demandons plus à autrui de nous sauver, de nous éveiller ou de nous combler. Vouloir trouver le divin dans un humain, c'est une confusion déplacée !
JE SUIS là, et nous le savons, vous et moi. Dans le souffle qui va et vient... dans la pulsation du vent et du sang... dans la vie qui danse à chaque instant.... C'est cela qu'enseigne le Yoga. L'absolu n'est pas un lieu, mais un mouvement. Il est temps de nous remettre en mouvement !... Dans cette reconquête, les niyama de Patanjali sont un précieux garde-fou : se purifier de ce qui nous encombre, s'efforcer avec ardeur, se contenter être heureux, s'étudier apprendre à se connaître, s'abandonner au mouvement de la vie, processus d'évolution. Tout change... Écoute, présence, attention au vivant. Le gourou est en toi !
" Je suis la preuve vivante que le yoga ne sert à rien. Ça fait cinquante ans que je pratique, et je suis toujours aussi con ! " rigole Eric Baret, maître de yoga tantrique. L'essentiel du yoga est caché, même quand il n'est pas caché. Subtilité, métaphore, double sens existentiels. Inspir, expir. Poésie et ligne de vie. Là dans l'instant. Tout est là !
Jeu réel
Si tu as du temps pour bavarder
Lis des livres
Si tu as du temps pour lire
Marche - montagne, désert, océan
Si tu as du temps pour marcher
Chante, chante et danse
Si tu as du temps pour danser
Assieds-toi tranquillement, veinard d'imbécile heureux !
Nanao Sakaki (1923-2008)
mais encore :
" Le ciel toujours bleu /
La lune toujours pleine /
La mer toujours haute /
Toi, toujours à te plaindre. "
« N’hésitez jamais à partir loin, au-delà de toutes les mers,
toutes les frontières, tous les pays, toutes les croyances. »
Amin Maalouf
Enlivrez-vous :
" La littérature est une augmentation, une amplification de la vie."
"Comment vivre sur la planète terre (Oeuvre complète)" Nanao Sakaki (idéal pour se laisser porter par une voix mêlant contemplations et chronique piquante de nos moeurs contemporaines)
"Soie du feu sur l'étoffe du ciel" Alain-Gabriel Monot / Aïcha Dupoy de Guitard (une vie d'Emilienne Kerhoas, un vrai bonheur poétique cette dame !)
"Striatum, comment notre cerveau peut sauver la planète" Sébastien Bohler, neurobiologiste (le bonheur : une recherche sans fin ? Fruit de nos projections sociales, mais aussi des armes que notre cerveau primitif a développées pour survivre au fil des millénaires...)
"La clôture des merveilles" Lorette Nobécourt
"La Voix des fantômes. Quand débordent les morts" Grégory Delaplace (interroge les rapports mouvants des vivants à ceux qui sont partis...)
Musiques
" Plus une musique est belle, plus elle crée d'espace, et celles-là vont ouvrir des portes derrière les étoiles..."
"Una Notte Onirica" Ensemble Agamemnon / François Cardey (l'un des plus beaux disques de musique baroque du moment... ferveur enchanteresse)
"Lieder, Mozart, Richard Strauss" Sabine Devieilhe / Mathieu Pordoy (un disque de tendresse qui nous invite à l'union...)
"Gabriel Fauré. L'intégrale pour piano seul" Lucas Debargue (admirable dans la précision comme dans la richesse des nuances)
"Gabriel Fauré. La bonne chanson/L'horizon chimérique" Stéphane Degout, Alain Planès ( mais aussi Fauré et ses poètes, florilège de mélodies par Marc Mauillon et Anne Le Bozec. Sensuel et lumineux...)
"MoonDial" Pat Metheny (guitariste au jeu aussi soyeux qu'inventif = une sensation d'infini...)
" Le silence, le contemplatif le sait, est cet espace
qui précède le moment où le Très-Bas s'adresse à nous. "
Joan Chittister
Je rentre de trois semaines de "retrait" médiatique et humain, au sein de mon ermitage taoïste libertaire préféré, dans le Haut-Var, que je côtoie depuis plus de 40 ans. Découverte par la rando du massif de la Sainte-Baume, de villages perchés tous plus magnifiques les uns que les autres, les hauteurs du Lac St-Croix, les Gorges du Verdon et ses vautours, etc. Le tout sous un ciel bleu solaire permanent !
J'ai profité de mon séjour pour relire l'un de mes écrivains préférés : Christian Bobin. Relu La Plus que Vive, Autoportrait au radiateur, Le Très-Bas, La Part Manquante.... Je vous invite - vivement - à vous replonger dans les ouvrages lumineux et dérangeants de cet homme rare, précieux, trop tôt parti lui aussi.
Ces séjours réguliers dans ce lieu de silence, comme dans d'autres également, plusieurs fois par an, me permettent de reprendre conscience de notre "agitation mentale" permanente. Surtout depuis la vogue des réseaux sociaux et de l'info en boucle qui nous minent l'esprit. Quelque part, nous sommes en train de devenir "fous" ! Pas la douce folie nécessaire pour vivre vraiment, mais celle anxieuse, inquiète, qui nous agite dans tous les sens, et nous fait agir pulsionnellement.
Pas cool ça !
Je vis pour ce qui n'a pas de poids
De couleur ni de prix
L'insensible douceur
De tes mains
Ton visage aux chemins
Interdits
Ton silence qui me détruit
Le coeur
Ta lumière comme un bandeau
Sur les yeux
Eux disent que c'est folie
Moi je dis c'est l'amour
Ainsi soit-il
Anne Perrier
Révélation estivale : que reste-t-il de l'espérance du monde que nous pensions transmettre en ayant des enfants ?
On ne redira jamais assez l'importance de la lecture de romans et de poèmes dans le parcours de maturation personnelle !
Bises d'automne coloré,
Jacques