Lettre octobre - 152eme -
Bonjour, Bonsoir
" Le sublime lasse, le beau trompe,
le pathétique seul est infaillible dans l'art.
Celui qui sait attendrir sait tout."
Alphonse de Lamartine
Le mois dernier j'ai de nouveau rendu hommage à deux belles dames. Plusieurs d'entre vous m'ont rappelé qu'il en existe quantité d'autres. Un homme sur deux est une femme ! Benoîte Groult, Rebecca West, Sappho, Colette, Lou Andreas-Salomé, Virginia Woolf, Marie Rouanet, Hypatia, Louise Labé, Claire Demar, Monique Hébrard, Hubertine Auclert, Flora Tristan, Taslima Nasreen, Hélène Cixous, Simone de Beauvoir, Marguerite Duras, Louise Michel, Suzanne Voilquin et bien d'autres m'inspirent. En fait " Je suis redevable aux femmes de tout, depuis mon enfance. La femme a ouvert les fenêtres de mes yeux et les portes de mon âme. Sans la femme-mère, la femme-soeur et la femme-amie, je serais resté endormi parmi ceux qui cherchent la tranquillité du monde en ronflant." nous dit Khalil Gibran.
L'infini me paraît l'élément naturel de l'âme. Je ne suis pas tellement satisfait d'être un homme. J'aurais préféré être un ange ! A quoi bon s'attarder sur cette planète frappée de précarité, qui ne m'offre pas plus d'appui qu'un reflet dans l'eau ? Or, sur la terre, il n'est d'anges que d'une sorte : les contemplatifs. Ah, respirer l'odeur de la vie contemplative... Le ciel est notre élément naturel. Est-ce que le poisson se plaint d'avaler trop d'eau ?!... J'ai appris surtout la différence entre la contemplation et la vie contemplative. Le contemplateur prend, le contemplatif donne. La vie contemplative est la rude et laborieuse désappropriation de soi.
Pourrais-je imiter ce renoncement ? Il ne suffit pas de ne pas être attaché pour être capable de renoncement. Contempler, c'est devenir ce qu'on regarde. "Le poète est celui qui voit sans regarder." nous dit Paul Claudel. L'amour humain, aussi, est un grand bonheur, surtout quand on sait qui le rend possible.... " L'amour, c'est ce qui fait exister l'autre." nous dit André Frossard.
" Et nous restons dans l'existence
à chercher notre chemin,
à chercher notre vérité
dans la terrible présence de l'enfance
qui se perpétue dans l'âge,
avec l'espoir que nous serons dignes enfin d'elle,
et vivrons alors l'enfance comme des grands,
comme des hommes. "
Frédéric Boyer
Je vis en cohabitation avec mon enfance, ses obscurités, ses grandeurs, ses limites et ses clartés. Je suis un chercheur de lumière, un explorateur de soleils cachés. J'ai en moi, comme une cicatrice, la conviction inébranlable que, derrière les apparences ou sous la crasse des petitesses et des mesquineries humaines, une lumière intense pousse le temps et les corps vers un centre d'amour. Un feu. C'est ma force et ma misère. Ce que je vois, je le sais sans le savoir, n'est à mes yeux qu'un revers des choses.
Je suis là et ailleurs et rarement bien ici. Je vis entre deux mondes. À la marge. C'est mon secret. Pour moi, l'humain est un mystère immense, une galaxie d'éclats et de diamants bruts comprimée dans du quelconque. Depuis toujours, je dialogue discrètement avec des mondes amis. D'autres frères. D'autres peuples. Je suis fou !... Fou de Sens. C'est une quête qui mange ma vie. J'y laisserai ma peau, mais mon âme échappera à la mort.
" Je ne sais pas d'où je viens. Je veux dire avant. Avant de plonger dans le temps et l'espace, de recevoir un nom terrestre. Avant de jouer Jacques. Regarder le ciel, c'est regarder d'autres frères et les yeux des cousins. C'est aussi crier et demander de l'aide pour une planète qui pleure. J'ai toujours eu le sentiment d'être un visiteur, un nomade. Un imposteur parfois. Naître ci, c'est faire halte le temps d'une vie, ou deux. Dans l'auberge du temps. C'est passer. Comment maintenir en paix le royaume ? Je trouverai des parcelles de réponse dans les songes, les rêves éveillés et les bénédictions de la vie.
Dans les nuits d'amour qui transmutent nos corps en prières. Dans l'observation du ciel et du dedans. Dans les larmes aussi. Celles des autres et surtout les miennes, si chaudes que je les prends pour du feu humide. Depuis longtemps, seuls la plage et le rythme des marées peuvent m'apaiser et introduire en moi une impression d'assise intérieure. Ma chair redevient confrérie.
Je marche entre le sec et l'humide comme un funambule. Je suis un enfant qui avance entre les mondes. Sur la ligne. Un gamin dans un corps marqué par le temps. Un vieil homme alerte qui découvre, ébahi, la beauté du jour. Un adolescent qui porte un million d'années. Mes yeux fixent les mouvements de l'eau et j'écoute ses sonorités. En couches superposées. À la jonction, toujours. Je me dis aujourd'hui que le temps n'a peut-être qu'une fonction : guérir. Relever. Je sais déjà que l'on me reprochera ce besoin de lumière, ce souci de faire surgir le beau.
Notre époque aime par-dessus tout les récits tristes, tragiques et les blessures ouvertes. Elle se nourrit de ces scénarios en boucle. Est-ce l'inévitable résultat de blessures immenses et bien réelles ou est-ce - aussi - la fatigue d'espérer qui contamine notre intériorité et cadenasse nos sanctuaires intimes ? " nous écrit Michel Desmarets, dans son magnifique roman, qu'il m'a offert, La plage d'après.
" Et si je m'en vais avant toi, dis-toi bien que je serai là
J'épouserai la pluie, le vent, le soleil et les éléments
Pour te caresser tout le temps, l'air sera tiède et léger
comme tu aimes. "
Françoise Hardy, 1972
" La joie, c'est être présent à plus grand que soi. "
Gilles Deleuze
Enlivrez-vous :
"La Splendeur du monde" Laurence Devillairs (aller à la rencontre de la beauté)
"Yoga Shalala" Jeanne Burgart Goutal / Aurore Chapon (récit intime, vibrant, déroutant, documenté, de son odyssée à travers les terres escarpées du yoga...)
"Immortelle randonnée. Compostelle malgré moi" Jean-Christophe Rufin
"Elsa" Aragon (une magnifique déclaration d'amour...)
"La musique éveille le temps" Daniel Barenboim (ce que la musique peut apporter à chacun de nous, sa place dans la société)
Musiques
" Plus une musique est belle, plus elle crée d'espace, et celles-là vont ouvrir des portes derrière les étoiles..."
"Chapter II : how dark it is before dawn" Anoushka Shankar (fille de Ravi S., l'extase de l'aube, comme dans un rêve... lumineux !)
"I wanna be like you... Bach, Mendelssohn, Prokofiev..." Florian Noack (artiste sensible, pianiste belge = allégresse contagieuse, expérience enivrante)
"Roh El Fouad - Âme de coeur" Mohamed Abozekry (prodige égyptien du oud, douce extase, audace technique, planantes mélodies arabophones = transporte de bout en bout...)
"Here in the pitch" Jessica Pratt (neuf aubades éthérées, une voix caressante = album d'une sibylline beauté)
"Trios pour piano, violon et violoncelle de Johannes Brahms" Trio Söra (superbe album au diapason de l'âme et des intentions du musicien romantique)
" Plonge dans l'étonnement et la stupéfaction sans limites,
ainsi tu peux être sans limites,
ainsi tu peux être infiniment."
Eugène Ionesco
" Le Premier Jour du reste de ta vie ", chanson d'Etienne Daho. Elle dit qu'il ne sert à rien de penser aux occasions manquées ou de rester bloqué sur le passé. Préférer l'idée que tout est toujours possible donne une foi, une énergie, et permet d'accueillir chaque matin comme une vie qui s'ouvre. A méditer... camarades méditants "pleine conscience" !
Miss.Tic : à la vie, à l'amor. Hommage à l'artiste du street art, aux pochoirs poético-féministes, décédée en 2022. Plus de trente ans à recouvrir les murs des villes de ses slogans percutants : " c'est la vie, ça va passer ", " la maison n'accepte pas l'échec ", " Je prête à rire, mais je donne à penser. ", " l'homme est un loup pour l'homme, et un relou pour la femme ", " je n'ai de maternelle que la langue ".... Plus de trois cents pièces à voir jusqu'au 05 janvier au palais des Papes d'Avignon.
Gast !
La tyrannie du présent, vous connaissez ? Contraintes et injonctions en tous genres.Domestiques, juridiques, réglementaires. Du vélo électrique au smartphone, innombrables informations numériques dans nos boîtes mails, injonctions commerciales qui polluent nos messageries téléphoniques. Procrastination inévitable ? Utilités parfaitement dérisoires : l'esprit à mieux à faire ! La spontanéité perd de sa superbe, la transgression devient impossible, la pensée parasitée par des rappels à l'ordre sonores ou lumineux !
Sommes-nous maîtres de notre présent ? Cerveau accaparé = paranoïa. Temps confondu avec la vitesse, la précipitation. Victoire totale des écrans, du business. Stopper net la légèreté du temps ! Réservations partout et pour tout, plaies du "progrès". Présent ceinturé par la contrainte numérique. Le présent comme un cadeau : le seul moment où notre imagination peut vagabonder, laisser libre court à la raison, au rêve. Échapper à la traque ! Retrouvons un peu de notre libre arbitre. Notre liberté = de l'air, de l'air svp !....
Flûtes de champagne au bout des doigts,
reviens
me dénuder de soie,
m'incruster de veines subtiles.
Toute la mer en creux,
ta semence mousse d'étoiles.
Et la mort
rit.
L'envie d'amour
brûle jusqu'à mes os :
ma cendre sera légère.
Dans l'eau à fleur de lèvre
j'avancerai.
Poussé par
les rythmes contraires
et amoureux
du fini et de l'infini
je t'aborderai.
Dans la profondeur du néant,
nous coulerions à pic,
si l'ange qui rassemble
ne nous repêchait,
ruisselants et nus,
dans sa main, face à face,
comme au premier jour.
Emilienne Kerhoas, Inapaisable terre et La Pierre du jardin
Je vois, j'entends, je sens, je savoure, je ressens : je suis vivant !
Je débats, je visite, je partage, je déguste, je danse : je suis encore vivant.
Belle entrée dans l'automne coloré,
Jacques