mardi 4 janvier 2022

 Lettre décembre 2021 - 118eme -

Bonsoir, Bonjour

"Faites que votre existence soit un contre-frottement 
qui arrête le mouvement de la machine."
Henry-David Thoreau


   C'est bientôt Noël. Je songe à la phrase de Nietzsche proclamant que le mérite essentiel de la religion chrétienne est d'avoir élevé la température de l'âme ! Mais où est passé ce feu ? Pourquoi, un jour, les églises ont-elles cessé d'être des torches pour réchauffer les cœurs ? Les chrétiens devraient brûler ; ils sont devenus froids comme des hivers scandinaves. C'est ce reproche de tiédeur que leur adresse Houellebecq, le penseur du vide spirituel de l'Occident. Dans ses livres, il écorche le catholicisme culturel des chrétiens qui assistent à la messe : ils reviennent du Golgotha et se demandent à la sortie si le poulet a eu le temps de cuire !?.... 
   Goliarda Sapienza, parlait du catholicisme comme d'une "couche de peinture sur de la lave"... Peut-être d'ailleurs est-ce en apprenant à se taire, après avoir au cours des siècles beaucoup trop parlé, que les chrétiens redeviendront crédibles ? 
   A méditer camarades méditants de tous poils !

   "L'Evangile est une arme dressée contre tous ceux qui fondent leur pouvoir sur le sacré. Jésus s'en prend à la vanité sacerdotale, à la volonté de parade et de puissance. Il n'y a pas de tiare, de mitre, de faste dans ce texte... Son unique messe, le Christ ne l'a pas dite avec des chasubles en dentelles ! Le Galiléen est attiré par ce qui est simple, il refuse qu'on l'appelle "maître"... (A méditer encore...).
   A tous les êtres humains qui vivent dans les ténèbres, et cela nous arrive à tous au cours d'une vie, j'aimerais parler du Christ, lui qui est venu ouvrir les enfers, briser les verrous de la douleur, et poser sa main fraîche sur le front brûlant de ceux qui souffrent. Tous, nous nous accrochons à tout pour apprivoiser nos fantômes. Nous consultons des magnétiseurs, des voyants, toute une litanie de charlatans qui monnayent nos deuils impossibles. Chacun fait comme il peut avec ses ombres, ses disparus." Charles Wright 

   Aujourd'hui, les magazines féminins, entre autres, disent qu'il faut s'engager dans le "travail de deuil", conjurer la perte par une activité de tous les instants, et puis rester "positif" en attendant de "refaire surface" et de "devenir plus fort". Moi, je ne crois pas, je ne crois plus, à ces niaiseries volontaristes, ni d'ailleurs à la résilience, comme s'il suffisait d'appuyer sur "reset" pour que tout revienne à la normale. Car les choses ne sont jamais plus pareilles après une perte, quelle qu'elle soit.
   Je vous dis ça parce que cette année, en 10 mois, j'en suis à quatre enterrements familiaux + celui d'un jeune de 15 ans. Aucun covid !

   La Sécurité sociale devrait prescrire des pèlerinages à tour de bras. A cette école buissonnière, on apprend la joie de la rencontre, l'art de saisir les circonstances et de s'amuser de tout. En bref, tout ce qui manque à l'homme d'aujourd'hui ! Charles de Foucauld avait compris que le bonheur n'est pas un arrêt, mais une marche soutenue par un désir. Sans cesse, il faut aller plus loin. S'expatrier de ses idées, se dépayser de ses certitudes, repartir de l'avant.

   Invitation également à consommer moins d'Internet, de radio, de télé, de journaux, de nous sevrer des vaguelettes (sic) de l'actualité. Les bienfaits de ce type de cure sont incalculables. Quand on se coupe du vacarme ambiant, qu'on se dégage de l'écume, l'âme s'allège et se dilate. On devient attentif à ce qui compte vraiment et se produit souvent sans bruit, dans le secret, loin des caméras : un lever de soleil, l'apparition d'un animal, le souvenir d'un être cher. Des reliefs, des fleurs, des vaches, des saints, des rencontres et du vent...

   "Pourquoi voulez-vous qu'une existence, à supposer qu'elle n'arrive pas à se fixer, ou à fructifier en une œuvre tangible, ait moins de prix qu'une autre ? Pourquoi le monde, qui a besoin de familles stables et de gens bien établis, n'aurait-il pas aussi besoin de ces êtres mobiles et errants, dont l'action se traduit par une série de touches ou d'essais apparemment discontinus, à travers toutes sortes de domaines ? C'est une grande chose de ne pas savoir où reposer la tête, si on porte au cœur la foi au monde." nous rappelle Teilhard de Chardin dans son ouvrage Accomplir l'homme.

   Ce texte a été écrit pour tous ceux qui trouvent leur voie dans l'incertain, dans le doute, et finissent par s'enraciner dans l'absence de lieu. Après tout, le Christ non plus ne s'est jamais installé ! Ce texte me touche particulièrement car il m'arrive, et ce depuis adolescent, de me demander ce que je fais là. Où que je sois, je me demanderai toujours ce que je fais là. Notre vocation est de passer... "De fendre la haute mer sur nos bâteaux ivres. Allons droit devant, tendus vers l'invisible. Nous sommes faits pour la fête et la joie sans ombre !" (Charles Wright)

   Le belge idéal, plein d'idéaux, le chanteur Julos Beaucarne, décédé le 18 septembre, était une institution dans son pays. Comédien, poète, musicien, auteur de 35 albums. Ecologiste avant l'heure, il dénonçait le racisme, l'exclusion et mettait en pratique ses convictions avec humour et poésie, en fondant, par exemple, le Comité de libération des arbres fruitiers ! Le meurtre de sa femme par un déséquilibré aurait pu le rendre amer. Loin de tout esprit de vengeance, cet humaniste pacifiste y vit la conséquence d'une société malade, qu'il convenait de soigner avec davantage d'amour (comme aujourd'hui d'ailleurs...)
   Dans l'une de ses dernières interviews, il remarquait avec une pointe de tristesse qu'on l'avait souvent pris pour un fou : "Il suffit qu'on rie un tout petit peu plus que le commun des mortels, on est pris directement pour des simperlots."
   Alors rions mes amis ! Plions-nous de rire, de plus en plus fort, nom d'un pangolin, face aux "tronches de cake" que nous croisons dans la rue, les magasins, en famille. Rions, dansons, embrassons-nous ! Puisque nous allons tous mourir... un jour.

"La nature nous avertit par un signe précis 
que notre destination est atteinte. 
Ce signe est la Joie. 
La joie est notre baromètre spirituel."
Henri Bergson

Enlivrez - vous :
"L'Oeuvre poétique de Nathan Katz" traduction de Guillevic (ce qui relie la terre et les gestes de l'homme, un questionnement permanent sur l'amour, la solitude et les temps d'une vie...)
"La perma-entreprise. Un modèle viable pour un futur vivable, inspiré de la permaculture" Sylvain Breuzard, illustré par Etienne Appert
"La Câlinothérapie - Un prescription pour le bonheur" Céline Rivière
"L'Aventure du corps. La communication corporelle, une voie vers l'émancipation" Fabienne Martin-Juchat
"L'Adieu interdit" Marie de Hennezel

Sites
www.label-vie.org (arrêtons de faire des enfants hors-sol !)
lanimaletlhomme.com (ce que les animaux peuvent nous apprendre)
inmemori.com (un temps pour se dire merci...)

Musiques
Le choeur de chant harmonique MuOm (polyphonie d'une beauté étrange, musique intemporelle : à Brest le 08 décembre)
"A beginner's Mind" Sufjan Stevens / Angelo de Augustine (retour au folk dépouillé, voix qui vous prennent aux tripes...)
"Etudes Op.25 . 4 Scherzi de Chopin" Béatrice Rana (classique sentimental, avec nuance et grâce)


"Croire, c'est respirer, profondément, aspirer l'air au-dessus de soi, 
offrir à la vie un champ inédit où elle déploiera le plus clair d'elle-même."
Philippe Mac Leod

   J'ai déjà eu l'occasion dans d'autres Lettres de vous mettre en garde envers les groupes, tous types de groupes, surtout ceux où il y a un gourou, une gourelle, un directeur de conscience, une cheffe, quelqu'un qui "sait". Y passer, certes. Y rester, jamais. Je suis bien trop "sauvage" pour m'incorporer à un groupe, être assigné à résidence, fixé dans un lieu. Depuis mon tout premier âge, dès que j'arrive quelque part, je repère les itinéraires de fuite ! Je crains comme la peste (ou le covid) toutes les formes d'emprise, d'encagement. Il n'y a pas de pire épouvantail que d'être enfermé dans une identité, une position statutaire.

   La traversée de la vie m'a définitivement convertie à la religion buissonnière. Je préfère les vaches, les chèvres, les pierres, les arbres, et la rencontre des autres dont les visages ouvrent sur une autre scène, sur un autre monde. Les clercs n'ont pas le monopole du sacré, Dieu merci. Ce dernier se débusque partout, notamment sur les chemins de traverse.
   Afin de vous faire une idée de la spiritualité qui me nourrit, je vous invite à lire ou relire aux éditions KarthalaPour un christianisme d'avenir de John Shelby Spong, évêque épiscopalien américain qui ose sortir des sentiers battus, ouvre des portes pour présenter une vision nouvelle et crédible de la foi : il vient de nous quitter à 90 ans. Et Pour un christianisme sans religion dBruno Mori. Ils décoiffent !

   Comment aurais-je pu devenir le délégué d'une vérité établie, alors que je veux faire mes dévotions où cela me chante, et que je suis plus édifié par l'être-là d'une brebis ou la détresse d'un semblable que par le patois de l'Eglise qui obscurcit parfois le mystère ? Je préfère tracer mon chemin en franc-tireur, en irrégulier, au lieu de subir le corset d'une règle qui risque tôt ou tard de m'amener à renier ce que je porte d'inimitable. Les Evangiles n'appellent jamais à l'obéissance aveugle. Ils proposent de fréquenter un mystère plutôt que d'obéir à un dogme. Et surtout ils appellent à l'amour. L'homme Jésus reste un mystère, une énigme, un doute. Un révolutionnaire qui secoue le cocotier des religions officielles et déteste les hypocrites... Les fonctionnaires de Dieu (comme beaucoup d'autres fonctionnaires...), y'en a marre !

   Nous sommes tirés à un exemplaire unique. Il n'y a qu'une seule véritable obéissance : celle que l'on doit aux hautes exigences de sa conscience. "Aime et fais ce que tu veux", disait saint Augustin. Je me sens dans cette lignée un peu anar, avec le Christ comme modèle, les béatitudes comme bréviaire, et en figures de proue des hommes et des femmes libres et joyeux pour qui le seul péché est de ne pas être brûlé par la rage d'aimer.

   D'ailleurs, concernant l'Amour, nous pouvons nous inspirer de Mère Teresa quand elle nous dit : "Ne vous imaginez pas que l’amour, pour être vrai, doit être extraordinaire. Ce dont on a besoin, c’est de continuer à aimer. Comment une lampe brille-t-elle, si ce n’est pas par l’apport continuel de petites gouttes d’huile ? Qu’il n’y ait plus de gouttes d’huile, il n’y aura plus de lumière. Mes amis, que sont ces gouttes d’huile dans nos lampes ? Elles sont les petites choses de la vie de tous les jours : la joie, la générosité, les petites paroles de bonté, l’humilité et la patience, simplement aussi une pensée pour les autres, notre manière de faire silence, d’écouter, de regarder, de pardonner, de parler et d’agir. Voilà les véritables gouttes d’amour qui font brûler toute une vie d’une vive flamme."

   Je ne partage pas le credo actuel selon lequel une vie réussie est une vie remplie. Je prends plaisir à gaspiller les heures, à me délecter du vide, à écouter le silence. J'ai peu d'argent mais beaucoup de temps libre, et le luxe de mener une existence affranchie des défis de l'utilité, du rendement, de l'économie. Mon parcours de vie m'a enseigné qu'avoir peu de biens procure une paix imperturbable, une tranquillité souveraine, une allégresse continuelle. Quand on vit dans la nature, à son contact, on se rend compte que tout est le fruit d'une générosité, d'une donation. "Ma vocation est d'être sans cesse en chemin, tourmenté par une sensation d'exil irrémédiable. Nos vies sont des virgules dans le texte de l'univers..." (Charles Wright)

   Le chemin qui mène à cette Joie dont parle Bergson plus haut est celui de l'acceptation de la vie telle qu'elle est, dans ses bonheurs et ses malheurs. Je fais mienne la prière de Maître Eckhart : "Je prie Dieu qu'il me délivre de Dieu...". Face aux injonctions de toutes sortes qui nous convient aux renoncements (alimentaires et autres...), ou aux prestations ascétiques (jeûne, etc), je dis avec d'autres que dans la vie spirituelle, les prouesses de ce genre ne font progresser qu'en orgueil et en vanité : le culte de l'ascèse est un culte du moi. Et paf !
   Notre vocation est plutôt d'honorer ce que nous portons de singulier, et de nous inventer une existence dans les marges des institutions. Avez-vous remarqué, comme moi, que les choses arrivent souvent quand on ne les cherche plus (comme l'homme ou la femme de sa vie !). Lorsqu'on se détend, qu'on ouvre la main (et le cœur), tout s'ouvre, on reçoit en abondance... L'Evangile de la tradition taoïste, le Tao Te King, dit que les hommes doivent apprendre à régler leur conduite sur l'eau : se déprendre de toute inquiétude, relâcher toute tension, ne rien retenir... A méditer

   Aussitôt que j'ai de l'espace, de la liberté, du champ, ma vitalité déborde ; elle s'étiole dès que je dois rentrer dans le rang ! Et vous ?
   J'ai assisté, le 23 novembre à Quimper, à une super conférence d'Etienne Klein, sur le thème de Retrouver le goût du vrai. Avec beaucoup d'humour, il nous a expliqué, via les biais cognitifs bien connus des psy, comment vous et moi sommes tombés dans des "dérapages incontrôlés" durant cette pandémie. Et pour certains le dérapage continue...

Belles fêtes de fin d'année à chacun.e : "J'ai tendu des cordes de clocher à clocher ; des guirlandes de fenêtre à fenêtre ; des chaînes d'or d'étoile à étoile, et je danse." Rimbaud
Entrons dans la danse de fin d'année !
Jacques


NB : la méchanceté est à la mode. Vous l'aurez sans doute remarqué. Et pas seulement entre les vaccinés et non vaccinés (je rappelle quand même que l'on peut être non vacciné pour raison médicale). Même au sein de certains cours de yoga, l'intolérance sévit ! Du grand n'importe quoi ! La vigilance reste la meilleure arme de combat, puisque nous sommes en "guerre". Les invectives fleurissent. 
   Toute vie en société exige de canaliser nos mouvements internes, par tous les moyens, y compris avec humour. L'enfer, ce n'est pas que les autres. Pour vivre ensemble, il n'y a pas d'autre choix que de se supporter soi-même... et les uns les autres. Plus on glisse vers le rejet de ce qui n'est pas nous, plus on tombe dans la politique du bouc émissaire. C'est alors toujours la faute de l'autre. Voyez les propos de l'abruti qui se présente à la présidentielle : des mots plein de venin. 
   Si penser libère, alors pensons ! Protégeons-nous les uns les autres. Car la peur et la haine sont les deux côtés de la même médaille. Vigilance, gentillesse, compassion, empathie, vous connaissez ?....

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