jeudi 13 janvier 2022

 Lettre janvier 2022 - 119eme -

Bonjour, bonsoir


"Est mystique celui ou celle 
qui ne peut s'arrêter de marcher." 
Michel de Certeau


   Les vertus d'une cure de silence en hiver. Au lieu de nous jeter dans le premier précipice, aveuglés par la lumière des écrans et rendus sourds par le bruit dans les écouteurs, écoutons le silence. Trop de mails, de "visio", de sollicitations, de choses à faire (et à défaire) et à penser, toutes aussi urgentes les unes que les autres... Les liens humains se distendent avec des visages cachés derrière des écrans, et des voix derrière des micros. Le virus du Covid en a profité pour se frayer un passage et le brouillard s'est épaissi. 
   Place au silence ! Pas le silence vide de la solitude entre quatre murs, le silence plein de la nature. A travers ce silence habité que j'éprouve chaque jour en me baladant dans le bois d'à-côté, je perçois le murmure de la vie, le chant du monde, autour de moi et en moi. La contemplation lave mon regard pour le rendre limpide comme le ciel bleu après la pluie. Alors que le cerveau ordinateur est en panne, le cerveau humain, celui du cœur, se ressource. Un bon moyen pour naviguer en temps de brouillard "covidien" ! Écoutons le silence, il a des choses à nous dire....

   Sujet "chaud" : capitalisme et écologie sont incompatibles. Suffit de lire les livres très éclairants de Laurent Mauduit - La caste et Prédations - pour se convaincre de la dérive. Extraits : "Le capitalisme n'est pas réformable car la notion de limite contredit son essence. Il est intrinsèquement incompatible avec la survie de l'humanité. Regarder les multinationales prédatrices, l'interpénétration structurelle des gouvernements successifs et de la haute fonction publique avec le système capitaliste économique et financier.... Le capitalisme, faut-il le redire, vise à la production, la plus grande possible, des biens de consommation et de maximisation du profit, sans considération de leur utilité."
   Le pape François nous rappelle dans ses écrits que le système capitaliste, érigé en idole, est intrinsèquement mauvais. Intolérable parce qu'il implique la toute-puissance de l'argent et son corollaire, la cupidité. A méditer camarades !...

   Autre exemple : les Cop répétitives, annuelles... jusqu'à la fin des siècles ?! Les participants de la Cop 26 se sont mis d'accord sur un point capital : la tenue de la Cop 27 en Egypte ! Cette conférence internationale n'a jamais abouti à des mesures écologiques concrètes, applicables et contraignantes. Conférence dont le coût astronomique (sans doute plusieurs centaines de millions d'euros pour transporter et héberger 30 000 personnes) est à la charge des pays participants et donc de leurs contribuables, donc de chacun d'entre nous. Vaste mascarade ! On se dit qu'il faudrait un miracle pour que les choses bougent vite. Et Dieu sait que les miracles ne sont pas légion en ce moment...

   Un peu de poésie dans ce monde de brutes : "En tout, se faire plus transparent, ne jamais s'attarder, entrer et sortir avec la légèreté du vent. N'exercer aucune pression, n'appuyez sur aucune partie de moi-même, enjamber ma propre pesanteur. Cesser de coller intérieurement à mon image. Entrer, sortir de moi-même avec l'innocence du vent.
   Prends garde, ne te laisse pas abuser par les milieux protégés, le confort de la serre. Il n'est de croissance qu'en pleine terre, pour une foi de plein vent, nue, exposée à toutes les rudesses du siècle. J'appelle poésie tout langage de la transparence, la clarté du cœur profond, ces moments déchirants où l'intériorité la plus secrète déborde l'homme visible, où l'homme tout entier devient la présence qui palpite en lui.

   Ce qui nous dépasse se révèle toujours le plus signifiant. Nous nous construisons par le vide. Nous grandissons à mesure que nous prenons mieux conscience du manque qui nous constitue - ce manque qui s'avère plus nous-mêmes que nous ne le sommes. Retrouver à l'intime de soi l'élan premier où l'on puise le mouvement et la vie.
   Toute notre raison d'être tient à la qualité de notre présence, à la hauteur que nous donnons à l'existence, à la lumière que nous savons tirer du réel. La vie n'est qu'ouverture (ephata !), expansion, éclosion, condamnée à s'éployer sans fin sous peine de s'immobiliser et de s'effondrer sur elle-même.

   A l'image de la verticalité, l'éveil de la conscience exige de notre part un effort d'application, une attention soutenue, qui doit s'affermir encore si nous voulons devenir pleinement humains. Il n'y a pas de grâce sans liberté, sans ce sentiment d'un espace qui surplombe nos enclos. Il n'y a pas de grâce qui n'évoque la pureté de l'azur, la circulation paisible et souveraine des vents, l'immensité radieuse des matins qui s'ouvrent et s'élèvent à l'horizon.
    Il nous faut la rechercher bien haut, cette liberté mythique, loin au-dessus de nos révoltes les plus légitimes, nos inévitables discriminations, nos enfantines affirmations de soi. Il n'y a pas de liberté. Seulement des libérations, seulement la grâce qui parfois nous soulève." (cette dernière phrase est particulièrement dédiée à celles et ceux qui manifestent depuis quelques mois pour leur "petite liberté"...).
   Extraits de Sens et beauté, que nous avons partagé début novembre lors d'un hommage à Philippe Mac Leod, trop jeune disparu (65 ans).

   Ennuyez-vous ! Sans cesse, sans arrêt, les jeunes doivent être en "éveil", avoir un agenda bourré d'activités et un rythme soutenu. Faire la guerre à l'ennui revient à amputer leur jeunesse, chers parents - éducateurs. On vole à l'enfant le droit au désoeuvrement. Pourtant, il en a grand besoin pour grandir. A méditer...

   40 ans après, le feu sacré de Xavier Grall brûle encore. Extraits : "Mes filles, mes Divines, je vous conjure d'admirer. Tout est fabuleux pour qui sait regarder. La fraîcheur du regard est le commencement de la sainteté. Détournez-vous des gens masqués et de l'imbécilité des aveugles...." Humaniste chrétien, ouvert sur le monde, libre des dogmes : "La foi est porte ouverte, seuil franchi, affranchissement, bruit des pas sur la route, bonne brise, voilier filant aux îles. Mes Divines, la foi est aventure, vent claquant, souffle, envolée de colombes, voile gonflée. Partez, partez, au nom de Dieu." Grall nous ouvre les portes du temps : "Je voudrais réconcilier la vie avec la mort, le noir avec le blanc et crier encore mon espoir (...). La vie est un mouvement musical et perpétuel. J'ai aimé tout ce qu'il est possible d'aimer. Ma sagesse fût d'aimer follement." Relisons - le.

" En cas de pandémie d'intolérance, 
ne jamais laisser cette crasse mentale salir votre esprit. "
Joséphine Baker
   
Des livres et vous
"Consolation" Anne-Dauphine Julliand (une méditation sur la souffrance)
"Jour bleu" Aurélia Ringard (un huis clos vif, sensible et poétique. Un rendez-vous amoureux en attente...)
"Des âmes et des saisons" Boris Cyrulnik (le cerveau se sculpte au contact d'autrui...)
"Le Llano en flammes" Juan Rulfo (recueil d'une beauté à tomber par terre !)
"Bashô, le fou de poésie" Frédéric Clément

Sites
https://tnova.fr/la-grande-conversation-2022/ (donner la parole à la pluralité des convictions et à la contradiction dans le respect des règles de civilité)
vert.eco (nouveau média sur l'actualité écologique)
www.collegecitoyen.fr (pour le monde d'après...)

Musiques
"The Angels" Les Métaboles (entendu à Quimper cet automne = nous convie à une communion avec la nature)
"Back to the moon" Thomas de Pourquery (avec des chœurs, des cuivres, des rythmes hindous...)
"A song is way above the lawn" Karen Peris (simples et terrassantes mélodies, elle chante aux oiseaux...)


" Ce n'est pas un signe de bonne santé mentale 
que d'être bien adapté à un monde malade. "
Jiddu Krishnamurti


   En 2022, je serai (peut-être) en retraite, pour mes 64 ans. Je vais enfin me sentir libre par rapport à certains milieux professionnels que j'ai bien connu. Pouvoir dire ce que j'en pense... vraiment, en vérité. A commencer par l'Education nationale, pour qui j'ai donné dix ans de précarité. L'école du formatage par excellence. Du "moi-je" poussé à son paroxysme, surtout dans les sphères universitaires. Comme me dit un ami : "Travailler dans l'Education nationale, c'est comme un mauvais mariage. Rien ne va, on ne s'entend plus, mais on reste pour les gosses !" A méditer... 
   Il y a pléthore d'emplois à saisir dans plusieurs secteurs d'activités, et pas ou peu de candidats. Pourquoi ? Je vais vous le dire car j'ai travaillé aussi dans ces secteurs. Élevage-agriculture : ça ne paye pas, des heures à n'en plus finir. Restauration : ça ne paye pas, des heures à n'en plus finir. Agroalimentaire : ça ne paye pas, conditions de travail obsolètes. Social : salaires incongrus, tensions plus plus, précarité des statuts, conditions de travail de dingues. Formation adultes : cdd répétitifs, salaire minimum. Etc, etc. C'est quand le changement ?....
   "L'humour, c'est du drame qui prend son temps" disait je sais plus qui.

   A tous les jeunes qui me demandent quoi faire de leur vie, quid de leurs études, de leur bonheur, de leur devenir, je leur répond de profiter de la vie et de faire ce qui leur plaît. Je me base sur mon itinéraire. J'ai arrêté l'école à 16 ans et en tant qu'autodidacte, je me suis donné la liberté de tenter des choses que des personnes super diplômées, plus formatées, n'ont pas réussi à réaliser. Ma philosophie n'a jamais varié : ne pas m'emmerder ! (ou me faire emmerder)L'arrachement aux gens qu'on aime est une douleur certes, mais aussi une énergie de vie....

   "Laissez le quotidien être le quotidien... Il doit être maintenu tel quel : ni édulcoré, ni idéalisé. C'est alors seulement qu'il est ce qu'il doit être pour nous : lieu de la foi, école de sobriété, exercice de la patience, discernement salutaire du verbiage et des faux idéals, secrète occasion d'aimer vraiment et d'être fidèle, test de l'objectivité qui est la semence de la suprême Sagesse.
   On pourrait dire que c'est précisément en demeurant ce qu'elle est, que la simple réalité quotidienne acceptée loyalement renferme le miracle continuel et le mystère secret que nous appelons Dieu et sa grâce cachée. (...) Celui qui, en tant qu'homme, reçoit la petite chose qu'est le temps au coeur de l'éternité qu'il porte en lui-même, celui-là remarque soudain que les petites choses, elles aussi, ont des profondeurs indicibles, qu'elle sont messagères d'éternité, qu'elles sont toujours supérieures à elles-mêmes, comme des gouttes d'eau dans lesquelles le ciel tout entier se reflète." Quelques lignes, à méditer fissa, du théologien Karl Rahner. Du pur Yoga !

   Ce monde où l'on essaie de se contrôler et de se faire bien voir en toute circonstance est fait de performances et de rapports de force, de séductions et de mensonges pour asseoir son pouvoir ou dissimuler ses faiblesses. Hélas ! ces comportements participent de la nature humaine. Quand on ne fait pas l'effort de s'expliquer avec soi-même, avec les événements, les émotions et les pensées que soulèvent ces événements (le covid par exemple), et de les placer sous le regard d'un Autre, on glisse très vite sans s'en rendre compte dans ces formes de pouvoir et de duplicité qui gouvernent les hommes et les rendent esclaves de leur "petit moi". Certes, le climat ambiant ne favorise guère cette éducation de la personne. Il incite plutôt à préférer le miroitement des apparences et le culte de l'individu.

   "Avec le temps, nous prenons acte que l'essentiel de la vie humaine se situe au-delà des possessions matérielles, intellectuelles, amicales ou même religieuses, dans un ailleurs qui nous échappe et nous ramène parfois douloureusement à la réalité. Ainsi, chacun en vient un jour ou l'autre à reconnaître sa pauvreté et les lois profondes de la vie. Mais, à travers le silence et l'angoisse où apparemment rien n'arrive ni ne bouge, ce dépouillement est porteur des plus riches promesses. Il recrée et oriente le cœur. L'être humain grandit par essais et erreurs, en s'offrant au quotidien, dans la banalité comme dans l'imprévu. C'est peut-être cela le véritable esprit de pauvreté." Laurent, communauté de l'esclache (04), dans leur dernier bulletin d'automne.

   2022 : la démocratie sur un fil. Nous sommes à une date de l'histoire humaine. Invitation à une double réconciliation : avec la Terre et avec l'Autre, le vivant et les hommes et les femmes, dans leur diversité heureuse. Défis écologiques, défis sociaux, soin de la terre et justice sociale. Nous limiter et partager. Partager ou mourir. Si nous n'avons jamais participé à une aventure politique, c'est le moment. C'est l'année ! Ne nous laissons pas aller à la résignation. Accomplissons. Recommençons. Soutenons. Proposons. Créons. Vivons. La grande aventure de l'espèce humaine. Réconcilier les gens, leur donner un espace dans lequel ils peuvent se parler pour trouver des solutions ensemble. C'est ça qui est beau. L'humain est - aussi - capable du meilleur.... Citoyennes, citoyens, réveillons-nous !
   Une petite lecture pas chère que je découvre en ce moment : "Tout va mal... je vais bien ! Comment vivre heureux dans un monde de merde" de Philippe Bloch. On rigole bien tout en tordant le cou à la morosité ambiante.

   Sylvain Tesson, sur l'actualité, le 12 décembre, dans mon quotidien. "... l'humanité a choisi une option, voici une cinquantaine d'années : celle de la soumission absolue à la technique et à la technologie. Je n'ai pas l'impression que la vie y gagne en joie, en bonheur, en mystère... Le principe de sécurité et de sûreté sont devenus les seuls horizons que nous proposent nos gouvernements. Nous sommes en train de nous couper du réel avec ce qu'il a de beau, de vivant, de surprenant, pour se plonger dans un monde virtuel. Si l'on éteint ces écrans qui brillent autour de nous, la vie reprend de l'épaisseur, du charme et du scintillement. Je crois que nous sommes quelques-uns à choisir de ne pas suivre la grande migration humaine, comme un troupeau de gnous, vers le veau d'or numérique et cyber mercantile.
 
   Des artistes, des penseurs, des jeunes ont choisi de bifurquer dans les interstices de la savane. Des choses magnifiques se font... Nous avons pris conscience de notre mortalité avec ce virus. A l'échelle de l'histoire, c'est assez banal. Nous avons cru à notre toute-puissance parce que nous avions des téléphones portables. Rien n'est plus faible qu'un homme qui se croit augmenté par la technologie... Le monde d'après : il est où ? On reste au stade de la prophétie autoréalisatrice. Cela ressemble aux bonnes résolutions du 31 décembre qui disparaissent le 02 janvier...". Sacré Tesson, il décoiffe l'animal ! Mûrir et mourir : un chemin de vie.

Spirituel, poétique et érotique : tout est dans le Cantique des cantiques. Profitez-en !
Le contraire de la connaissance, ce n'est pas l'ignorance, mais nos certitudes.
Une belle pensée va vers notre ami Pierre Rabhi, que nous avions reçu à Quimper (près de mille personnes !). L'un de nos plus beaux souvenirs d'une belle personne, comme on aimerait en croiser plus souvent. Un guide, un ami de l'humanité.
Belle année 2022 à chacun.e, restons zen actifs et réactifs !
Il faut savoir rester en interrogation.
"All you need is love",
Jacques

NB : la méchanceté est à la mode. Vous l'aurez sans doute remarqué. Et pas seulement entre les vaccinés et non-vaccinés (je rappelle quand même que l'on peut être non-vacciné pour raison médicale). Même au sein de certains cours de yoga, l'intolérance sévit ! Le principal effet secondaire dont la majorité d'entre nous souffre est "la peur des non-vaccinés". Du grand n'importe quoi ! La vigilance reste la meilleure arme de combat, puisque nous sommes en "guerre". Les invectives fleurissent. 
   Toute vie en société exige de canaliser nos mouvements internes, par tous les moyens, y compris avec humour. L'enfer, ce n'est pas que les autres. Pour vivre ensemble, il n'y a pas d'autre choix que de se supporter soi-même... et les uns les autres. Plus on glisse vers le rejet de ce qui n'est pas nous, plus on tombe dans la politique du bouc émissaire. C'est alors toujours la faute de l'autre. Voyez les propos de l'abruti qui se présente à la présidentielle : des mots plein de venin. 
   Si penser libère, alors pensons ! Protégeons-nous les uns les autres. Car la peur et la haine sont les deux côtés de la même médaille. Vigilance, gentillesse, compassion, empathie, vous connaissez ?....

mardi 4 janvier 2022

 Lettre décembre 2021 - 118eme -

Bonsoir, Bonjour

"Faites que votre existence soit un contre-frottement 
qui arrête le mouvement de la machine."
Henry-David Thoreau


   C'est bientôt Noël. Je songe à la phrase de Nietzsche proclamant que le mérite essentiel de la religion chrétienne est d'avoir élevé la température de l'âme ! Mais où est passé ce feu ? Pourquoi, un jour, les églises ont-elles cessé d'être des torches pour réchauffer les cœurs ? Les chrétiens devraient brûler ; ils sont devenus froids comme des hivers scandinaves. C'est ce reproche de tiédeur que leur adresse Houellebecq, le penseur du vide spirituel de l'Occident. Dans ses livres, il écorche le catholicisme culturel des chrétiens qui assistent à la messe : ils reviennent du Golgotha et se demandent à la sortie si le poulet a eu le temps de cuire !?.... 
   Goliarda Sapienza, parlait du catholicisme comme d'une "couche de peinture sur de la lave"... Peut-être d'ailleurs est-ce en apprenant à se taire, après avoir au cours des siècles beaucoup trop parlé, que les chrétiens redeviendront crédibles ? 
   A méditer camarades méditants de tous poils !

   "L'Evangile est une arme dressée contre tous ceux qui fondent leur pouvoir sur le sacré. Jésus s'en prend à la vanité sacerdotale, à la volonté de parade et de puissance. Il n'y a pas de tiare, de mitre, de faste dans ce texte... Son unique messe, le Christ ne l'a pas dite avec des chasubles en dentelles ! Le Galiléen est attiré par ce qui est simple, il refuse qu'on l'appelle "maître"... (A méditer encore...).
   A tous les êtres humains qui vivent dans les ténèbres, et cela nous arrive à tous au cours d'une vie, j'aimerais parler du Christ, lui qui est venu ouvrir les enfers, briser les verrous de la douleur, et poser sa main fraîche sur le front brûlant de ceux qui souffrent. Tous, nous nous accrochons à tout pour apprivoiser nos fantômes. Nous consultons des magnétiseurs, des voyants, toute une litanie de charlatans qui monnayent nos deuils impossibles. Chacun fait comme il peut avec ses ombres, ses disparus." Charles Wright 

   Aujourd'hui, les magazines féminins, entre autres, disent qu'il faut s'engager dans le "travail de deuil", conjurer la perte par une activité de tous les instants, et puis rester "positif" en attendant de "refaire surface" et de "devenir plus fort". Moi, je ne crois pas, je ne crois plus, à ces niaiseries volontaristes, ni d'ailleurs à la résilience, comme s'il suffisait d'appuyer sur "reset" pour que tout revienne à la normale. Car les choses ne sont jamais plus pareilles après une perte, quelle qu'elle soit.
   Je vous dis ça parce que cette année, en 10 mois, j'en suis à quatre enterrements familiaux + celui d'un jeune de 15 ans. Aucun covid !

   La Sécurité sociale devrait prescrire des pèlerinages à tour de bras. A cette école buissonnière, on apprend la joie de la rencontre, l'art de saisir les circonstances et de s'amuser de tout. En bref, tout ce qui manque à l'homme d'aujourd'hui ! Charles de Foucauld avait compris que le bonheur n'est pas un arrêt, mais une marche soutenue par un désir. Sans cesse, il faut aller plus loin. S'expatrier de ses idées, se dépayser de ses certitudes, repartir de l'avant.

   Invitation également à consommer moins d'Internet, de radio, de télé, de journaux, de nous sevrer des vaguelettes (sic) de l'actualité. Les bienfaits de ce type de cure sont incalculables. Quand on se coupe du vacarme ambiant, qu'on se dégage de l'écume, l'âme s'allège et se dilate. On devient attentif à ce qui compte vraiment et se produit souvent sans bruit, dans le secret, loin des caméras : un lever de soleil, l'apparition d'un animal, le souvenir d'un être cher. Des reliefs, des fleurs, des vaches, des saints, des rencontres et du vent...

   "Pourquoi voulez-vous qu'une existence, à supposer qu'elle n'arrive pas à se fixer, ou à fructifier en une œuvre tangible, ait moins de prix qu'une autre ? Pourquoi le monde, qui a besoin de familles stables et de gens bien établis, n'aurait-il pas aussi besoin de ces êtres mobiles et errants, dont l'action se traduit par une série de touches ou d'essais apparemment discontinus, à travers toutes sortes de domaines ? C'est une grande chose de ne pas savoir où reposer la tête, si on porte au cœur la foi au monde." nous rappelle Teilhard de Chardin dans son ouvrage Accomplir l'homme.

   Ce texte a été écrit pour tous ceux qui trouvent leur voie dans l'incertain, dans le doute, et finissent par s'enraciner dans l'absence de lieu. Après tout, le Christ non plus ne s'est jamais installé ! Ce texte me touche particulièrement car il m'arrive, et ce depuis adolescent, de me demander ce que je fais là. Où que je sois, je me demanderai toujours ce que je fais là. Notre vocation est de passer... "De fendre la haute mer sur nos bâteaux ivres. Allons droit devant, tendus vers l'invisible. Nous sommes faits pour la fête et la joie sans ombre !" (Charles Wright)

   Le belge idéal, plein d'idéaux, le chanteur Julos Beaucarne, décédé le 18 septembre, était une institution dans son pays. Comédien, poète, musicien, auteur de 35 albums. Ecologiste avant l'heure, il dénonçait le racisme, l'exclusion et mettait en pratique ses convictions avec humour et poésie, en fondant, par exemple, le Comité de libération des arbres fruitiers ! Le meurtre de sa femme par un déséquilibré aurait pu le rendre amer. Loin de tout esprit de vengeance, cet humaniste pacifiste y vit la conséquence d'une société malade, qu'il convenait de soigner avec davantage d'amour (comme aujourd'hui d'ailleurs...)
   Dans l'une de ses dernières interviews, il remarquait avec une pointe de tristesse qu'on l'avait souvent pris pour un fou : "Il suffit qu'on rie un tout petit peu plus que le commun des mortels, on est pris directement pour des simperlots."
   Alors rions mes amis ! Plions-nous de rire, de plus en plus fort, nom d'un pangolin, face aux "tronches de cake" que nous croisons dans la rue, les magasins, en famille. Rions, dansons, embrassons-nous ! Puisque nous allons tous mourir... un jour.

"La nature nous avertit par un signe précis 
que notre destination est atteinte. 
Ce signe est la Joie. 
La joie est notre baromètre spirituel."
Henri Bergson

Enlivrez - vous :
"L'Oeuvre poétique de Nathan Katz" traduction de Guillevic (ce qui relie la terre et les gestes de l'homme, un questionnement permanent sur l'amour, la solitude et les temps d'une vie...)
"La perma-entreprise. Un modèle viable pour un futur vivable, inspiré de la permaculture" Sylvain Breuzard, illustré par Etienne Appert
"La Câlinothérapie - Un prescription pour le bonheur" Céline Rivière
"L'Aventure du corps. La communication corporelle, une voie vers l'émancipation" Fabienne Martin-Juchat
"L'Adieu interdit" Marie de Hennezel

Sites
www.label-vie.org (arrêtons de faire des enfants hors-sol !)
lanimaletlhomme.com (ce que les animaux peuvent nous apprendre)
inmemori.com (un temps pour se dire merci...)

Musiques
Le choeur de chant harmonique MuOm (polyphonie d'une beauté étrange, musique intemporelle : à Brest le 08 décembre)
"A beginner's Mind" Sufjan Stevens / Angelo de Augustine (retour au folk dépouillé, voix qui vous prennent aux tripes...)
"Etudes Op.25 . 4 Scherzi de Chopin" Béatrice Rana (classique sentimental, avec nuance et grâce)


"Croire, c'est respirer, profondément, aspirer l'air au-dessus de soi, 
offrir à la vie un champ inédit où elle déploiera le plus clair d'elle-même."
Philippe Mac Leod

   J'ai déjà eu l'occasion dans d'autres Lettres de vous mettre en garde envers les groupes, tous types de groupes, surtout ceux où il y a un gourou, une gourelle, un directeur de conscience, une cheffe, quelqu'un qui "sait". Y passer, certes. Y rester, jamais. Je suis bien trop "sauvage" pour m'incorporer à un groupe, être assigné à résidence, fixé dans un lieu. Depuis mon tout premier âge, dès que j'arrive quelque part, je repère les itinéraires de fuite ! Je crains comme la peste (ou le covid) toutes les formes d'emprise, d'encagement. Il n'y a pas de pire épouvantail que d'être enfermé dans une identité, une position statutaire.

   La traversée de la vie m'a définitivement convertie à la religion buissonnière. Je préfère les vaches, les chèvres, les pierres, les arbres, et la rencontre des autres dont les visages ouvrent sur une autre scène, sur un autre monde. Les clercs n'ont pas le monopole du sacré, Dieu merci. Ce dernier se débusque partout, notamment sur les chemins de traverse.
   Afin de vous faire une idée de la spiritualité qui me nourrit, je vous invite à lire ou relire aux éditions KarthalaPour un christianisme d'avenir de John Shelby Spong, évêque épiscopalien américain qui ose sortir des sentiers battus, ouvre des portes pour présenter une vision nouvelle et crédible de la foi : il vient de nous quitter à 90 ans. Et Pour un christianisme sans religion dBruno Mori. Ils décoiffent !

   Comment aurais-je pu devenir le délégué d'une vérité établie, alors que je veux faire mes dévotions où cela me chante, et que je suis plus édifié par l'être-là d'une brebis ou la détresse d'un semblable que par le patois de l'Eglise qui obscurcit parfois le mystère ? Je préfère tracer mon chemin en franc-tireur, en irrégulier, au lieu de subir le corset d'une règle qui risque tôt ou tard de m'amener à renier ce que je porte d'inimitable. Les Evangiles n'appellent jamais à l'obéissance aveugle. Ils proposent de fréquenter un mystère plutôt que d'obéir à un dogme. Et surtout ils appellent à l'amour. L'homme Jésus reste un mystère, une énigme, un doute. Un révolutionnaire qui secoue le cocotier des religions officielles et déteste les hypocrites... Les fonctionnaires de Dieu (comme beaucoup d'autres fonctionnaires...), y'en a marre !

   Nous sommes tirés à un exemplaire unique. Il n'y a qu'une seule véritable obéissance : celle que l'on doit aux hautes exigences de sa conscience. "Aime et fais ce que tu veux", disait saint Augustin. Je me sens dans cette lignée un peu anar, avec le Christ comme modèle, les béatitudes comme bréviaire, et en figures de proue des hommes et des femmes libres et joyeux pour qui le seul péché est de ne pas être brûlé par la rage d'aimer.

   D'ailleurs, concernant l'Amour, nous pouvons nous inspirer de Mère Teresa quand elle nous dit : "Ne vous imaginez pas que l’amour, pour être vrai, doit être extraordinaire. Ce dont on a besoin, c’est de continuer à aimer. Comment une lampe brille-t-elle, si ce n’est pas par l’apport continuel de petites gouttes d’huile ? Qu’il n’y ait plus de gouttes d’huile, il n’y aura plus de lumière. Mes amis, que sont ces gouttes d’huile dans nos lampes ? Elles sont les petites choses de la vie de tous les jours : la joie, la générosité, les petites paroles de bonté, l’humilité et la patience, simplement aussi une pensée pour les autres, notre manière de faire silence, d’écouter, de regarder, de pardonner, de parler et d’agir. Voilà les véritables gouttes d’amour qui font brûler toute une vie d’une vive flamme."

   Je ne partage pas le credo actuel selon lequel une vie réussie est une vie remplie. Je prends plaisir à gaspiller les heures, à me délecter du vide, à écouter le silence. J'ai peu d'argent mais beaucoup de temps libre, et le luxe de mener une existence affranchie des défis de l'utilité, du rendement, de l'économie. Mon parcours de vie m'a enseigné qu'avoir peu de biens procure une paix imperturbable, une tranquillité souveraine, une allégresse continuelle. Quand on vit dans la nature, à son contact, on se rend compte que tout est le fruit d'une générosité, d'une donation. "Ma vocation est d'être sans cesse en chemin, tourmenté par une sensation d'exil irrémédiable. Nos vies sont des virgules dans le texte de l'univers..." (Charles Wright)

   Le chemin qui mène à cette Joie dont parle Bergson plus haut est celui de l'acceptation de la vie telle qu'elle est, dans ses bonheurs et ses malheurs. Je fais mienne la prière de Maître Eckhart : "Je prie Dieu qu'il me délivre de Dieu...". Face aux injonctions de toutes sortes qui nous convient aux renoncements (alimentaires et autres...), ou aux prestations ascétiques (jeûne, etc), je dis avec d'autres que dans la vie spirituelle, les prouesses de ce genre ne font progresser qu'en orgueil et en vanité : le culte de l'ascèse est un culte du moi. Et paf !
   Notre vocation est plutôt d'honorer ce que nous portons de singulier, et de nous inventer une existence dans les marges des institutions. Avez-vous remarqué, comme moi, que les choses arrivent souvent quand on ne les cherche plus (comme l'homme ou la femme de sa vie !). Lorsqu'on se détend, qu'on ouvre la main (et le cœur), tout s'ouvre, on reçoit en abondance... L'Evangile de la tradition taoïste, le Tao Te King, dit que les hommes doivent apprendre à régler leur conduite sur l'eau : se déprendre de toute inquiétude, relâcher toute tension, ne rien retenir... A méditer

   Aussitôt que j'ai de l'espace, de la liberté, du champ, ma vitalité déborde ; elle s'étiole dès que je dois rentrer dans le rang ! Et vous ?
   J'ai assisté, le 23 novembre à Quimper, à une super conférence d'Etienne Klein, sur le thème de Retrouver le goût du vrai. Avec beaucoup d'humour, il nous a expliqué, via les biais cognitifs bien connus des psy, comment vous et moi sommes tombés dans des "dérapages incontrôlés" durant cette pandémie. Et pour certains le dérapage continue...

Belles fêtes de fin d'année à chacun.e : "J'ai tendu des cordes de clocher à clocher ; des guirlandes de fenêtre à fenêtre ; des chaînes d'or d'étoile à étoile, et je danse." Rimbaud
Entrons dans la danse de fin d'année !
Jacques


NB : la méchanceté est à la mode. Vous l'aurez sans doute remarqué. Et pas seulement entre les vaccinés et non vaccinés (je rappelle quand même que l'on peut être non vacciné pour raison médicale). Même au sein de certains cours de yoga, l'intolérance sévit ! Du grand n'importe quoi ! La vigilance reste la meilleure arme de combat, puisque nous sommes en "guerre". Les invectives fleurissent. 
   Toute vie en société exige de canaliser nos mouvements internes, par tous les moyens, y compris avec humour. L'enfer, ce n'est pas que les autres. Pour vivre ensemble, il n'y a pas d'autre choix que de se supporter soi-même... et les uns les autres. Plus on glisse vers le rejet de ce qui n'est pas nous, plus on tombe dans la politique du bouc émissaire. C'est alors toujours la faute de l'autre. Voyez les propos de l'abruti qui se présente à la présidentielle : des mots plein de venin. 
   Si penser libère, alors pensons ! Protégeons-nous les uns les autres. Car la peur et la haine sont les deux côtés de la même médaille. Vigilance, gentillesse, compassion, empathie, vous connaissez ?....