mercredi 23 mai 2018

Lettre mai 2018 - 79eme -

Bonsoir, Bonjour


"Nous n'avons pas besoin de magie pour transformer le monde : 
nous portons en nous tout le pouvoir dont nous avons besoin." 
J.K. Rowling (madame Harry Potter !)



   Nous fêtons les 50 ans de Mai 68. Youpi ! On remet le couvert ?.... Vous et moi pourrions citer quantité de raisons objectives, sérieuses, louables, parfaitement identifiées, qui pourraient conduire de nouveau le petit peuple français à se révolter. Ne serait-ce que les 18,25 millions de français - répertoriés dans le quotidien La Croix que j'ai cité le mois dernier - qui d'une manière ou d'une autre galèrent, surfent sur leur précarité, se débrouillent avec le quotidien.  
   "C'est en gardant le silence, alors qu'ils devraient protester, que les hommes deviennent des lâches." nous rappelle Ella Wheeler Wilcox. Perso, je fais partie d'un collectif de 80 000 individus précaires au sein de l'éducation nationale, en cdd sur 6 années à 20, 24, 28, 30 ou 32 heures payées au smic. Faîtes le calcul. Celà fait 8 ans que j'ausculte de près ce corps professionnel qui n'en a que le nom : les frustrations sont énormes, et se manifestent souvent dans les extrêmes politiques. Cherchez l'erreur....

   "Il est cependant une autre catégorie de nomades. Pour eux, ni tarentelle ni transhumance. Ils ne conduisent pas de troupeaux et n'appartiennent à aucun groupe. Ils se contentent de voyager silencieusement, pour eux-mêmes, parfois en eux-mêmes. On les croise sur les chemins du monde. Ils vont seuls, avec lenteur, sans autre but que celui d'avancer.
   La capacité d'émerveillement varie injustement selon les êtres. Ouvrir les yeux reste un antidote au désespoir. Dans la nature, c'est différent. Le cancer de l'ennui ne menace pas. La variété des manifestations de la vie suffit à l'éblouissement. Pas un seul interstice par lequel l'Ennui pourrait s'immiscer !

   Pour bien vagabonder, il faut peu de choses : un terrain propice et un état d'esprit juste, mélange d'humeur joyeuse et de détestation envers l'ordre établi. Le vagabond éternel n'appartient pas à son époque ni n'a derrière la tête l'ombre d'une pensée politique ni celle d'une revendication. Le vagabond enjambe l'idéologie et les clôtures qui toutes deux empêchent de gambader. Il ne veut en rien changer le monde qui l'entoure, il veut réussir à le fuir le plus esthétiquement possible. Il ne veut pas se battre, il s'échappe. Il n'est pas en croisade, il est en croisière. Il n'appartient à aucun groupe, il lui suffit d'un chien fidèle ou d'un oiseau apprivoisé pour se sentir en compagnie. Il va à l'aventure car il veut que chaque jour soit un jaillissement d'imprévus. Son âme se simplifie : son voyage est une épuration éthique.

   La gaieté du vagabond est sa meilleure nourriture. Elle évoque un appétit adolescent doublé d'une ironie légère devant la vie, cette vaste entreprise à se foutre du monde. Puisqu'on ne peut pas changer le monde, et puisqu'on ne doit surtout pas essayer de le faire, pourquoi ne pas se carapater dans la beauté des bois ? Les idéologies ont prouvé leur laideur et, plus grave, leur inconsistance, mieux vaut donc essayer de fuir le monde le plus esthétiquement possible. L'enfer, ce n'est pas les autres, c'est l'obligation de vivre avec eux !"
   Voilà exactement l'état d'esprit qui m'habite depuis quelques années, et c'est signé Sylvain Tesson


"Peut-on entrevoir, à la frontière brumeuse de notre horizon humain, 
une forme de beauté du crépuscule, susceptible d'éclairer le sens de notre existence ?" 
Henri Daucé
   

Musiques pour l'âme :
"The gift" Susanne Abbuehl (délicieuses ballades voix, harmonium indien, piano, percussions, trompette)
"Citizen of glass" Agnès Obel (tous les albums d'Agnès Obel sont divins !)
"Worrisome Heart" Melody Gardot (elle porte bien son prénom...)
"Bitibak 1" Simon Nwambeben (envies de paix, de tolérance et d'amour de la vie)
Tous les disques du "grand" Jacques Higelin, certains textes étant des pépites poétiques. Salut l'artiste !


Des livres et vous :
"L'éclipse de la mort" Robert Redeker (être confronté à notre finitude, celà s'appelle être en "pleine conscience"...)
"Le Chat" Geluck (lui, on adore son humour belge hautement spirituel...)
"Agir et penser comme un chat" Stéphane Garnier (il vit dans le présent, se préoccupe d'abord de son bien-être, évite les conflits : le chat, un vrai yogi !)
"L'inconnu me dévore" Xavier Grall (vient d'être réédité; un livre de réconciliation, plein de tendresse, qui laisse entrer la lumière. Grall = une sentinelle sur le granit de Bretagne)
"Accélération. Une critique sociale du temps" Hartmut Rosa
"Approches de la vie intérieure" Lanza Del Vasto
"Courir au clair de lune avec un chien volé" Callan Wink (jeune prodige de 25 ans)
"Des âmes simples" Pierre Adrian (ce jeune auteur a partagé le quotidien de Pierre, moine courageux et lumineux de la vallée d'Aspe)


Sites : 
www.halteobsolescence.org (arrêter de nous prendre pour des pigeons...)
www.carnetdeyourte.mercereau.info (la sobriété en action près de Nantes)
www.ishaformation.fr (pour vous mes dames...)
www.loa-zour.fr (en 29 sud, à soutenir...)



"Si haut qu'on monte,
on finit toujours par des cendres."
Henri Rochefort



   "D'une manière générale, on a toujours tendance à juger de ce qui est possible ou de ce qui ne l'est pas en fonction de ce que l'on peut faire soi-même. Inconsciemment, nous évaluons la limite entre le possible et l'impossible en fonction de nos propres capacités. Sans nous en rendre compte, nous nous considérons comme le critère ultime de toute réalité. En fait, la véritable difficulté qui se pose à nous, c'est de laisser la grâce faire son oeuvre en nous, en évitant de lui faire écran par tous les désirs et passions qui nous encombrent." nous invite à méditer Dom Guillaume Jedrzejczak, qui anime des retraites et sessions spirituelles dans plusieurs pays.

   Certains pensent que les contemplatifs sont des êtres accomplis ayant le recul nécessaire sur les vicissitudes humaines, qu'ils sont immunisés contre les maux de l'existence et qu'ils peuvent ainsi se consacrer exclusivement à la quête spirituelle. C'est bien les idéaliser ! D'autres, engagés dans la construction du monde, les considèrent comme des marginaux, des névrosés, des irresponsables cherchant refuge au sein d'un groupe ou d'une institution. Devant cette critique, on doit certes s'interroger, mais on peut aussi rétorquer qu'il vaut mieux reconnaître son éventuelle névrose et chercher la guérison dans la spiritualité qu'ignorer sa "normose" et se perdre dans la tragédie du monde.

   A chaque nouvelle saison, je reçois par courrier la Lettre d'une communauté perchée à 1100 m d'altitude dans les Alpes de Ht-Provence, dans laquelle je séjourne quelques fois. Encore un petit coin de paradis en pleine nature, au coeur du silence et de l'essentiel. Je ne résiste pas à l'envie de vous confier quelques paroles de cette lettre : "... En fait, ni meilleurs ni pires que les autres, les amis du Très-Haut ont simplement choisi de tout quitter pour vivre d'autres valeurs que celles véhiculées par la société. Leur terrain d'expérience n'est que l'épaisseur humaine dans l'ordinaire des jours. Ce sont des personnes que la foi met en mouvement. La vie spirituelle n'est pas d'un exercice intellectuel de haut niveau, elle trouve plutôt sa source dans l'aveu de nos faiblesses, petitesses, fragilités.

   Plus l'homme se livre à l'interrogation de l'infini, moins il prétend connaître le Très-Haut et il renonce ainsi à vouloir mettre la main sur Lui (ou Elle). L'essentiel est le respect d'une certaine "distance" en tout, sans laquelle ce qui est vécu reste marqué de possessivité, de recherche de soi. Celà demande un travail personnel de longue haleine qui n'est jamais achevé. Distance avec soi-même d'abord, c'est à dire ne pas être dupes de ses propres désirs passionnels et désirs de puissance. Il s'agit d'apprendre à les reconnaître et de travailler pour tenter de les dépasser en se faisant aider. Sinon, on risque de vouloir gouverner sa vie, de se gonfler d'importance et de devenir insupportable....

   Distance avec les autres et avec les événements ensuite, c'est à dire ne pas être dupe de "l'effet miroir" qui nous éblouit et nous aveugle dans notre relation au monde. Aimer quelqu'un en qui l'on découvre les mêmes intérêts, les mêmes idées ou les mêmes affects que les nôtres n'est pas aimer, c'est faire de soi une idole....

   Distance avec le Très-Haut enfin, c'est à dire ne pas être dupe là aussi des mécanismes de projection qui nous font rechercher et adorer l'image de nous-mêmes à travers une manière de vivre la religion qui se voudrait pure et innocente. "Qui veut faire l'ange fait la bête" disait Pascal ! Tout se passe comme si dans notre attitude de croyant nous voulions inconsciemment faire jouer à Dieu le rôle que nous avons besoin qu'il joue. L'homme est ainsi fait qu'il recherche souvent un cocon où il puisse se sentir bien au chaud. Mais la foi n'a rien d'un nid douillet ; elle nous fait passer par l'hiver et la nuit, d'une possession immédiate et ambiguë au détachement de la foi véritable qui reconnaît Dieu comme autre que nous, insaisissable.

   C'est un chemin de dépouillement qui porte sur nos comportements personnels, notre vision du monde et nos représentations religieuses. " La vie vraie n'est pas donnée, écrit Judith Brousse. Elle arrive après qu'on s'est débarrassé de toutes les pelures de soi-même. On y accède après la traversée de zones d'ombre, après une certaine mort de soi. Elle arrive après ce passage. La vie vraie est presque toujours une résurrection. C'est peut-être celà qu'on appelle le ciel sur la terre, la grâce : vivre un présent qui dure. Qu'on le veuille ou non, même sans dieu, il y a là une dimension mystique.".


"Au moment où il n'y aura plus
de mots pour s'asseoir
Nous resterons debout sans
phrase pour nous soutenir
Avec entre les mains le fil
décousu de nos ourlets
sauvages
Pour ne pas tomber mon petit,
Je me recouds chaque jour
au grand tissu."
Laurence Nobécourt (née en 1968)


   A l'heure où certaines féministes enferment les hommes dans les mêmes problématiques répétitives et lourdingues, j'aimerais rappeler à la gent féminine que ce n'est pas avec nous les hommes qu'elle a des comptes à régler, ou à se "libérer"... mais que le travail ô combien plus difficile et responsabilisant pour elle reste de se "libérer" de leurs mères. Et nous les hommes de nos pères....
   Mantras de printemps : "Souriez, vous êtes heureux !", ou bien "Et si on dansait ?", ou encore l'euphorisant "Every day is a miracle" de David Byrne, dans son dernier album : hymne dansant aux plaisirs simples avec un refrain en or massif.

   Je vous souhaite un mois de Mai festif : indignez-vous ! Réveillez-vous ! Révoltez-vous !
   Jacques

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