vendredi 8 mai 2020

Lettre mai - 101eme -

Bonjour, bonsoir

"Comment peut-on se prendre au sérieux quand l'existence
 est si éphémère et qu'elle ne cesse de courir vers sa fin ?"
Andrée CHEDID


   "Pire est la situation,meilleures se révèlent les personnes. Les catastrophes font émerger le meilleur de l'humanité. (...) On souffre ensemble, on travaille ensemble, on éloigne le superficiel, et on découvre l'essence des choses." nous dit Quarantelli, un sociologue spécialisé dans les réactions aux désastres. Bon, c'est sympa ce que nous dit ce monsieur, mais j'attend de voir - très bientôt - si c'est ainsi que vont se comporter mes amis humains une fois libérés de leurs cages.... Vous-mêmes, comment avez-vous vécu le confinement ? Le silence ? L'intériorité, le face à face avec vous-même ? Le regard des autres dans les lieux collectifs ? La parano de certains ? Et le reste....
   Mieux encore, avez-vous, à un moment ou plusieurs moments de ce confinement, appréhendé votre finitude ? Le fait que vous pourriez mourir ? Votre fragilité, votre faiblesse, comment les avez-vous ressenti ? Le fait que nous soyons de simples grains de poussières (J. Higelin) sur la planète : flippant non ?
   Perso, je suis passé par tous les stades, en tant qu'émotif sensitif intuitif. Au début, traversé par un grand nombre de pensées conflictuelles, qui se déplacent dans tous les sens. Puis, petit à petit, grâce aux marches quotidiennes, la méditation, le fait de rester en silence, cette écume se dissipe peu à peu, une paix advient et monte alors du plus profond de soi. Je gérais tout ça avec l'ironie, l'énervement, l'humour et l'action, la parole, l'écrit, entre deux réflexions-lectures des nombreux courriels sympas reçus (merci à vous !), nombreuses vidéos et textes tous plus inspirants les uns que les autres. Quelle créativité mes amis ! J'ai éprouvé quelques fois une "gratitude mystique minimale" (Chesterton). J'en ai profité aussi pour rédiger mes directives anticipées, acte adulte que je vous conseille fortement....

   "Ne crachons pas sur cette possibilité qui nous est donnée de ne pas être embarqué dès le matin dans la lessiveuse de nos vies hâtives, après avoir ingurgité le tombereau d'horreurs que les matinales radiophoniques déversent sur le parvis de nos matins sacrés. "Le siège de l'âme est là où le monde intérieur touche le monde extérieur" nous rappelle Novalis. Je ne considère pas le repli sur soi comme un état, mais comme un mouvement nécessaire. On se jette dans le monde avec appétit. Puis on se rétracte pour réfléchir à ce que l'on a moissonné. C'est le principe du coup de sonde. On a tout intérêt, de temps en temps, à regagner sa grotte.
   Rester chez soi est peut-être plus qu'une directive sanitaire : c'est un projet politique. On se souviendra que, lorsqu'on décrète un jour, par idéologie, qu'il n'y a plus de frontière nulle part et que tout doit circuler, celà se termine un jour par cet impératif : "Restez chez vous !"", nous avertit Sylvain Tesson. Salutaire....

   L'intériorité n'est fructueuse que quand elle rejoint le point de jonction avec l'extériorité. Profitons de ce moment de rassemblement en nous-même pour reconsidérer le monde que nous avons bâti. Bon, bientôt nous allons déconfiner. Et il y a un virus pire que le corona qu'il va nous falloir évincer fissa : le virus du capitalisme !
   Dans ma Lettre d'avril, je vous ai invité à résister, changer de monde, de modèle. C'est le moment. Chacun.e de nous doit reprendre son pouvoir, celui de dire oui et non, de mettre notre énergie, notre argent, notre temps pour bâtir l'autre monde, qui est déjà en marche depuis allez disons 20 ans. Nouveau monde dans lequel vous n'êtes peut-être pas encore entré.e, mais auquel vous aspirez. Celui d'un humanisme spirituel, décrit depuis bien longtemps par quantité de sommités de tous poils, de tous bords, de tous horizons. "L'économie est tombée de cheval et soumise à une nouvelle priorité : la vie pure et simple" nous confie Erri de Luca. Ne retournons pas à l'anormal !

   Le moment est venu. Faîtes clairement un choix positif de nouvelle société, car la prochaine colère de Dame Nature pourrait être bien plus violente que le corona si l'on n'accepte pas de changer... tout ! Si ce n'est déjà fait, il faut nous libérer de la tyrannie de la performance : toujours plus beau/belle, toujours au top, toujours plus haut, toujours plus d'argent, toujours plus de responsabilités (même bénévoles), toujours positif, toujours zen ! Attitudes impossibles, vaines, car nous ne sommes que de "pauvres" petits êtres humains... aux egos surdimensionnés. Et là est le noeud du problème : l'ego humain. Responsable du meilleur (l'amour) comme du pire (le Covid-19).
   "Rien ne sera plus comme avant", vous l'avez lu ou entendu mille fois en deux mois. Chacun.e est conscient.e que nous ne pouvons pas retourner à la normale (l'anormal !), car c'est cette "normalité" qui a provoqué le dérèglement actuel du monde ! Prenons enfin soin du monde, bordel !

   "La méditation assise ne signifie qu'une chose: être confortablement assis dans l'esprit originel. C'est d'ailleurs notre vie de tous les jours dans sa totalité qui doit être envisagée comme méditation assise. Résidez dans l'esprit originel éternel et rien d'autre ! En dehors de cela, je n'établis aucune règle particulière que l'on doit pratiquer." nous dit le sage Bankei dans Propos zen.
   Une des clauses de l'UNESCO dit ceci : «La paix dans le monde ne peut vraiment se réaliser que lorsque chaque individu est en paix avec lui-même ». Incroyable ! Réalisable ?.... 
   C.G.Jung dit presque l'équivalent en ces termes : «Si l'homme ne change pas, alors le monde ne changera pas.»Alors, s'il vous plaît, ne nous offusquons plus en disant «Quand les hommes comprendront-ils qu'il faut changer ?». Commençons par nous-même, sérieusement. N'attendons pas que le monde autour de nous soit en paix pour apprendre à nous apaiser ! Nous risquerions d'attendre (en maugréant, en nous plaignant) jusqu'à notre dernier souffle ! Quelle vie gâchée ! Ne demandons pas à l'autre de changer pour faire notre bonheur. Et si certaines choses ne nous conviennent pas ou plus, agissons en conséquence, prenons nos distances, consolidons-nous, dans le silence, dans l'être, dans le Hara ! 
   «Lorsqu'on est sur le point de dire quelque chose, on doit d'abord faire l'expérience du non-dit. On sent l'espace, et ensuite on dit ce que l’on n’a pas encore dit. On sent l'espace, et ensuite on dit ce qu'on a à dire, ce qui, dans une mesure, accentue l'espace, le place dans une perspective précise.» nous avertit le maître Tibétain Chögyam Trungpa.



"Chaque fois que de l'angoisse arrive, 
je la mets dans une valise que je glisse sous mon lit.
De temps en temps je tire la valise, je la mets sur le lit, je l'ouvre : 
elle ne contient rien, ou bien un lumineux petit arbre fruitier."
Christian Bobin



Des livres et vous :
"La puissance de la douceur" Anne Dufourmantelle (il y a urgence...)
"Le chant du silence. L'art de méditer" John Main (un authentique guide spirituel trop tôt disparu = 56 ans !)
"Zèbre zen" Clotilde Poivilliers (thérapeute et zèbre elle-même... comme votre serviteur !)
"Le siècle vert" Régis Debray (annonce un changement de civilisation...)
"Nos vaches sont jolies parce qu'elles mangent des fleurs" Paul Bedel/Catherine Boivin (témoignage drôle et touchant d'un paysan, 84 ans, sur la vie, le bonheur et bien plus....)
"Anatomie de l'errance" Bruce Chatwin (lecture vivement recommandée)


Musiques
"Tout ce qu'on veut dans la vie" Louis Chedid (album fringant comme un jeune homme, belle vitalité et inspiration, banni toute morosité ou lassitude, propos pleins de sagesse bienveillante, prompts à accompagner les coeurs en hiver. On en ressort régénéré !)
"The complete keen years" Sam Cooke (entre ferveur mystique et transe amoureuse, prince du gospel père spirituel de la soul, Sam Cooke nous a quitté à 33 ans !)  
"Matriochka" Alexandra Luiceanu (un disque d'hypnose ? Un voyage plutôt. Un hymne à l'amour joué à la harpe)
"Les failles cachées" Pomme (peu de mots, beaucoup de sentiments, jolies mélodies, Victoires de la musique 2020 "album révélation" : la beauté est dans les failles...)


Sites


"Si tu lances trop loin le caillou, tu ne peux pas le rattraper.
C'est pareil pour la vie."
Paul Bedel, paysan-écrivain, 90 ans



   Je vous livre quelques bribes de lectures qui m'ont nourri durant cette "retraite" forcée et salutaire, depuis le 16 mars. "... La méditation, une école de liberté intérieure, mais la véritable difficulté qui se pose à nous, c'est de laisser la grâce faire son oeuvre en nous, en évitant de lui faire écran par tous les désirs et passions qui nous encombrent... S'étudier au silence méditatif signifie pratiquer le silence, faire l'effort, parfois laborieux, pour s'y astreindre. En le pratiquant va naître une dynamique du silence, une compréhension par expérience de ce langage particulier qui comprend deux aspects essentiels que sont, d'une part, la perception de la solitude, du vide, du creux qui nous habite, par delà tous les bruits, et d'autre part, l'expérience d'une communion (une commune union ndlr) non plus par le dehors, mais par le dedans. Et nous commençons, un jour, à ne pas nous laisser effrayer par le vide, l'absence où tous les bruits se lèvent, en nous, quand nous faisons silence. Peu à peu, en devenant plus proches de nous-mêmes, nous vivrons cette expérience....

    L'existence humaine est une perpétuelle oscillation entre le manque et l'excès. Le manque, qu'il soit d'ordre matériel, affectif ou spirituel produit en l'homme d'étranges réactions d'aveuglement et d'angoisse. A l'inverse, l'excès, la satiété peuvent provoquer l'assoupissement, le sommeil, le dégoût, ce que Sartre qualifiait de nausée. Céder à l'angoisse du manque ou au dégoût de la satiété, c'est courir le risque de tomber soit dans la récrimination et le refus, soit dans l'ivresse et l'illusion... La vie intérieure, la contemplation, la méditation n'a rien à voir avec cette vie de tiédeur où l'on cherche à se préserver, à protéger sa petite existence des extrêmes, à conserver ses acquis. Bien au contraire, elle suppose ce grand saut dans les bras de la Vie qui prend la barre de notre existence. Il convient donc de changer de registre, de passer de soi à un autre, de moi à "plus grand que mon petit-moi". Et ce passage ne peut se faire qu'en renonçant à conduire soi-même sa propre vie. "La mesure d'aimer la Vie, c'est de l'aimer sans mesure." résume Saint Bernard". Dom Guillaume Jedrzejczak "Sur un chemin de liberté".   

    Avec le décès de Christophe, c'est de l'amour qui s'en va, lui qui chantait la sensualité : " Ma chance a été d'aimer les femmes et de placer l'art au même niveau que l'amour...". Tu nous laisses des mots bleus pour Aline, clins d'oeil aux paradis perdus. Lumière céleste pour toi....
   A l'instar de Jean-Louis Aubert"je suis un paranoïaque à l'envers, j'ai toujours peur que les gens soient meilleurs qu'ils n'en ont l'air !" Une certaine naïveté... ou espérance en la nature humaine "bonne". Il faut y croire....

   Je vous quitte en vous disant bienvenue dans le déconfinement joyeux, amoureux, solidaire, nécessaire....
   Reprenons le pouvoir sur notre vie, faisons des choix de vivants, des gestes d'amis, contaminés par le virus de l'humilité.... "Ce n'est jamais que l'aujourd'hui qui est l'instant propice".
   Dès le 11 mai, la première personne que je croise qui me propose un "free hug" (ces fameuses étreintes gratuites), je lui saute dans les bras ! 
   Je dis m.... à la pensée mortifère ambiante, et oui à l'Amour humain. Non à "la vie d'avant", oui à l'inconnu, à l'incertitude, au tout est possible, au changement de société in-dis-pen-sable.... 
   Non au virus de l'anxiété, oui à la créativité contagieuse.
   Bises décomplexées déconfinées bretonnes,
   Jacques

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